Le bonheur ne consiste pas à acquérir et à jouir, mais à ne rien désirer, car il consiste à être libre
«Ce qui tourmente les hommes, ce n'est pas la réalité mais les jugements qu'ils portent sur elle. Ainsi, la mort n'a rien de redoutable. Socrate lui-même était de cet avis: la chose à craindre, c'est l'opinion que la mort est redoutable. Donc, lorsque quelque chose nous contrarie, nous tourmente ou nous chagrine, n'en accusons personne d'autre que nous-mêmes: c'est-à-dire nos opinions. C'est la marque d'un petit esprit de s'en prendre à autrui lorsqu'il échoue dans ce qu'il a entrepris; celui qui exerce sur soi un travail spirituel s'en prendra à soi-même; celui qui achèvera ce travail ne s'en prendra ni à soi ni aux autres.»
«Devant tout ce qui t'arrive, pense à rentrer en toi-même et cherche quelle faculté tu possèdes pour y faire face. Tu aperçois un beau garçon, une belle fille? Trouve en toi la tempérance. Tu souffres? Trouve l'endurance. On t'insulte? Trouve la patience. En t'exerçant ainsi tu ne seras plus le jouet de tes représentations.»
«Souviens-toi que tu joues dans une pièce qu'a choisie le metteur en scène: courte, s'il l'a voulue courte, longue, s'il l'a voulue longue. S'il te fait jouer le rôle d'un mendiant, joue-le de ton mieux; et fais de même, que tu joues un boiteux, un homme d'État ou un simple particulier. Le choix du rôle est l'affaire d'un autre. »
«Souviens-toi que ce qui te cause du tort, ce n'est pas qu'on t'insulte ou qu'on te frappe, mais l'opinion que tu as qu'on te fait du tort. Donc, si quelqu'un t'a mis en colère, sache que c'est ton propre jugement qui est le responsable de ta colère. Essaye de ne pas céder à la violence de l'imagination: car, une fois que tu auras examiné la chose, tu seras plus facilement maître de toi. »
«La plupart du temps, notre conduite se mesure à l'aune de nos relations. «Celui- ci est mon père? Je dois prendre soin de lui, lui céder en tout, supporter ses injures, ses coups... Mais, c'est un mauvais père!» Eh bien, la nature ne t'a pas fixé pour rôle de vivre avec un bon père, mais avec un père. «Mon frère me fait du tort!» Alors garde, vis-à-vis de lui, le poste qui est le tien et ne te demande pas comment il se conduit, mais comment, toi, tu dois te conduire pour suivre, dans tes choix, ce qu'enjoint la nature. Personne ne te fera de mal, à moins que tu n'y consentes; le mal ne viendra que lorsque tu jugeras qu'on te fait du mal. De la même façon, examine ce que doivent être tes relations avec tes voisins, tes concitoyens, le gouverneur de ta province, et tu sauras quelle conduite adopter à l'égard de chacun d'eux.»
«Face à quelqu'un qui te fait du tort par sa conduite ou ses propos, souviens-toi que s'il agit ainsi, c'est qu'il pense avoir raison. Il ne lui est pas possible de régler sa conduite sur ta façon de penser: c'est la sienne qui le guide, et, si elle est erronée, il se fait du tort à lui-même en demeurant dans son erreur. En effet, si une vérité complexe passe pour un mensonge, ce n'est pas la complexité qui est en faute, mais bien celui qui se trompe. En te fondant sur ce principe, tu garderas ton sang-froid face à ceux qui t'insultent: chaque fois, tu n'auras qu'à te dire: «C'est ce que lui pense.» »
«Toute chose donne prise sur deux côtés: l'un permet de la porter, l'autre non. Si ton frère te fait du tort, ne prends pas cela en te disant qu'il te fait du tort (c'est le côté impossible à porter), dis-toi plutôt que c'est ton frère, ton compagnon, tu prendras ainsi la chose du côté où l'on peut la porter.»
«Un tel se lave vite: ne dis pas qu'il se lave mal, mais qu'il se lave vite. Si un autre boit beaucoup de vin, ne le traite pas d'ivrogne, dis simplement qu'il boit beaucoup. En effet, qu'en sais-tu, avant d'avoir pesé leurs raisons? De cette façon, tu éviteras, devant ce que tu te représentes d'un objet, de lui donner une autre représentation. »
Source : Notes de Arrien de Nicomédie, "Manuel' d'Epictète, Les Echos du Maquis, 2011